Faire d'une église une "école d'écologie"
- Anne-Sophie Hourdeaux
- 4 mai 2020
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 nov. 2020
Poussés par le pape François et son encyclique 'Laudato Si' écrite en 2015, les chrétiens sont davantage sensibilisés à la dimension écologique. A titre individuel, beaucoup de catholiques vivent la démarche écologique. Mais comment faire des paroisses et des églises des lieux de développement durable et de transition écologique ?
Dans le film « Demain » (de Cyril Dion et Mélanie Laurent), qui a remporté un beau succès dans les salles de cinéma en abordant le thème de l'écologie, aucun projet d'Église n'est cité… Mais l’entreprise Pocheco, basée à Forest-sur-Marque, oui.
L'encyclique du pape François Laudato Si sur l'écologie intégrale a véritablement fait un carton de librairie dans tous les milieux, et pas seulement chrétiens ! Le texte est lu dans les communautés paroissiales, mais aussi est montré en exemple dans bien des lieux, notamment auprès des écologistes politiques.
On le voit bien dans la société, le thème du développement durable et de la préservation de la planète est plus que jamais d'actualité. La conscience de devoir tous s'impliquer pour « sauver la planète » se développe partout dans le monde, même au plus haut niveau.
Dans ce contexte, une parole de l'Église est plus que bienvenue, elle est fondatrice pour l'avenir et augure de collaborations inédites entre des personnes de tous horizons motivées par ce seul enjeu.
Comment cette question écologique est prise en compte dans l'Eglise ? Le diocèse de Lille a nommé en septembre 2016, à l'appel de la conférence des évêques de France, deux prêtres délégués à l’écologie intégrale : les pères Régis Devaux et Patrick Simonnin. Une équipe s'est créée autour d'eux en 2017. Un label « église verte » est lancé en septembre 2017 au niveau de la France.Une journée diocésaine de la Création s'organisera désormais chaque année. La première dans le diocèse de Lille a lieu à Cassel le 1er octobre 2017.
Les lieux chrétiens déjà impliqués dans ce processus
Sur cette question, l'Eglise ne part évidemment pas de rien. Des églises et lieux chrétiens (presbytères, couvents...) sont déjà actifs et vivent déjà des projets autour de l'environnement.
-La première église solaire de France a été inaugurée en 1980 dans le Douaisis : il s’agit de l’église d’Anhiers, avec une serre qui permet le chauffage de la structure. En 2013, des panneaux solaires ont été installés sur l'église de Loos-en-Gohelle, propriété de la mairie (92 panneaux solaires installés sur 160 m2 de toiture rénovés). Francis Maréchal, alors délégué aux travaux de la ville de Loos-en-Gohelle, déclarait à Lilleactu/Croix du Nord en 2016 : « Refaire la toiture en ardoise nous revenait à 37 000 €. Les panneaux solaires coûtaient 132 000 €. Mais avec les subventions européennes et aides de l’État, le chantier en photovoltaïque nous est revenu à 21 000 € ! De plus, la revente de l’électricité à Enercoop rapporte de l’argent à la commune : 5 000 € par an ».
L’église de Wavrin (notre photo, propriété communale) se dote en décembre 2016 de panneaux photovoltaïques, grâce à l’association SOLIS (sous forme de coopérative) : 110 panneaux, pour l’équivalent de la consommation de 10 foyers. L’église de Dompierre-sur- Helpe s’est elle aussi dotée de tels panneaux en 2013.

Ces 4 exemples concernent des églises appartenant à des communes. L'envie de développer ce type de panneaux solaires sur les églises appartenant au diocèse et dans les écoles catholiques existe, mais la question financière est souvent un écueil. Il s'agit d'avoir cette réflexion lorsque la toiture est à refaire. Le plus étonnant, c’est que ce choix écologique revient au final moins cher qu'une rénovation classique !
-Les chrétiens de la Marlière à Tourcoing ont développé un jardin collaboratif sur un terrain appartenant à la paroisse, avec l’aide d’un jeune en service civique depuis 2018. L'initiative est unique dans le Nord. Le but : créer un jardin partagé avec des temps forts pour réunir les habitants autour de la culture, de la récolte, d'atelier confitures, de fêtes. L’idée d’une ruche est envisagée. L'école Notre-Dame de la Marlière s'est investie dans ce projet : ses élèves viennent régulièrement faire des "travaux pratiques" liés à la nature dans ce jardin !
-L'ancien séminaire de Lille, quartier Louvière, dispose de plusieurs espaces potagers, dont un dédié à la permaculture. Le but : former des habitants pour que chacun le reproduise chez lui. Le lieu a aussi des poules pour les déchets alimentaires, et des ruches.
-La future maison d'Église dans le quartier de l'Union à Tourcoing voulait développer un projet autour de l'écologie (mais le projet de cette maison d'Eglise a été abandonné).
-À Calais : le jardin Tudor de l'église Notre-Dame a ouvert en été 2016 ! D’inspiration anglaise, sur 7000 m2, il a coûté plus d’un million d’euros à la mairie. Il compte notamment la roseraie, avec une rose qui porte le nom « Notre-Dame », créée spécialement pour l’église de Calais.
-Les bénédictions d'animaux sont rares, mais existent dans certains lieux, comme à Chéreng, depuis presque 10 ans. Une messe est organisée chaque année dans un centre équestre, les animaux sont les bienvenus !

-Le label Eglise verte a été obtenu par plusieurs lieux chrétiens dans le Nord et le Pas-de-Calais : les maisons diocésaines de Lille et Arras, le Centre du Hautmont de Mouvaux, et plusieurs paroisses du Nord comme Sainte-Remfroye en Denaisis, Sainte-Famille à Loos, Saint-Jean des Weppes... Pour obtenir le label, il suffit de créer une équipe et de remplir un long questionnaire d'une centaine de questions.
-La pastorale du tourisme est très active du côté du Mont des Cats, avec des rendez-vous "nature" : marches de chapelles en chapelles, cueillette et cuisine de plantes des champs, découverte de la permaculture...
-Un jardin biblique, interreligieux, existe près de Strasbourg, à Valff. Le projet est porté par l’association « Le jardin du Livre », il couvre 500 mètres carrés et a été inauguré en 2007. Chaque année, le jardin reçoit environ 500 visiteurs. Chaque été, une programmation culturelle et spirituelle s’y implante, avec des concerts, des conférences, des soirées poésies… L’initiative des Alsaciens donnera-t-elle des idées aux Nordistes ?
Au vu de ces expériences, quelques idées émergent
-Les jardins. Des églises possèdent des jardins inutilisés la plupart du temps : ces espaces verts pourraient servir à des potagers, jardins communautaires… Une manière de créer du lien social, d’embellir les espaces inutilisés, et de produire ses propres fruits et légumes !
-Des toitures végétalisées. Pourrait-on envisager des toitures végétalisées, à la manière de l’entreprise Pocheco à Forest/ Marque (dont le dirigeant est Emmanuel Druon), citée dans le film « Demain » ? Le centre d’apprentissage des Apprentis d’Auteuil à Loos-en-Gohelle propose cette formation.
-Le zéro déchet. Roubaix s'est engagée depuis 2015 avec force dans l'opération « Zéro déchet », avec une politique volontariste de la mairie. La réflexion écolo d’un projet porté par l’Église pourrait rejoindre cette dynamique de lutte contre les déchets.
Des églises ont des vocables "écolo"
Plusieurs églises portent des noms liés à l'écologie : saint François par exemple. Il y a aussi dans les oeuvres d'art de nos églises beaucoup de références à la nature,

Je vous partage un de mes gros coups de coeur de la région, l’église Sainte Thérèse de Lisieux à Wattrelos. Elle est petite, elle est intimiste, elle est colorée, on s'y sent bien. Très belle église construite entre 1927 et 1929, par l'architecte Charles Bourgeois, elle est unique en son genre, car de style Art déco ce qui est rare dans le Nord. Elle est classée Monument historique et appartient au diocèse de Lille et non à la Ville de Wattrelos. Sa particularité réside dans le nombre de détails artistiques liés à la rose qu'elle abrite. Chaque mur compte une frise de roses en mosaïques et céramiques colorées. On retrouve la fleur rouge sur les vitraux aussi.

Pourquoi la rose ? Deux raisons : la petite Thérèse, très fragile après sa naissance à cause d’une entérite aiguë, a été allaitée par une nourrice : Rose Taillé. Puis, les miracles de la sainte sont accompagnés d’une odeur de rose, ce qui semble correspondre à l’une des trois paroles qu’elle a prononcées à la fin de sa vie « Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses ». Le thème de la nature au sens large se retrouve dans les détails des colonnades : feuillages et colombe y sont taillés. Des références écologiques d'autant plus importantes que la paroisse s'est choisie comme nom "Saint-François".
L’église reste dédiée au culte le samedi soir. Elle a aussi un autre rendez-vous important : le dimanche matin, une équipe l'ouvre pour que les gens la visitent ou s'y recueillent en allant faire leur marché sur la place du Laboureur. Un espace livres et une table pour le café ont été installés pour un accueil au top.La paroisse y développe une dynamique culturelle, avec des expos, des concerts. Mais elle a de gros problèmes de travaux à régler (depuis 2016, elle est entourée d'un filet). Sa fragilité vient de son matériau principal : la pierre reconstituée s’effrite.

Une Maison de la rose dans une église
Dans une église baptisée Sainte Thérèse comme à Wattrelos, la thématique écologique pourrait être déployée en lien avec les roses chères à sainte Thérèse de Lisieux : rosier, parfum, concours de poésies sur les roses… Les gens ayant comme nom ou prénom "Rose" auraient leur fête. Autour de l’église, des places de parking en épis ne pourraient-elles pas devenir un mini-jardin, tel une couronne entourant le lieu ? Une ferme hors sol à l’intérieur de l’église pourrait voir pousser des rosiers. Un rosier spécial Ste Thérèse pourrait être créé spécialement. Des ateliers d’art floral pourraient y être organisés. Dans cette dynamique écologique, l’église pourrait tout à fait rester lieu de culte. La paroisse s’appelant Saint François, la bénédiction des animaux pourrait être envisagée une fois par an.
De nouvelles relations entre les gens
L'écologie, c'est bien plus que la nature. Tout ce qui relève de l'économie sociale et solidaire, la réduction des déchets, les nouvelles relations entre les gens, relève d'une démarche écologique. Les entreprises liés au recyclage (Bouquinerie du Sart, magasins Emmaüs), les donneries, les outillothèques (prêts d'outils), les repair café (atelier mensuel gratuit de réparation d'objet), les partages de savoir (les SEL, les talents d'Alphonse avec les seniors), les aides entre voisins font partie de la nouvelle dynamique de notre société, basée plus sur le partage que sur l'argent.
Aussi, un centre commercial entièrement dédié au produits recyclés a ouvert début 2017 en Suède.
Comment cette dynamique peut-elle rejoindre nos paroisses, nos églises ?

La solidarité aussi
Aussi, l'écologie intégrale dépasse le respect de l'environnement et la réduction des déchets. La solidarité, le respect de l'être humain font partie de la question écologique. Sur la question de la solidarité, nos paroisses sont souvent très impliquées : accueil soupe à Lille dans le presbytère de l'église du Sacré-Coeur, le béguinage de la fraternité à Hem (qui héberge famille rom et irakienne), les associations comme le Secours catholique, la Société Saint-Vincent-de-Paul... Ce thème est tellement vaste que j'y consacrerai un article complet prochainement !
Les start-up, avenir des projets écolo dans l'Eglise ?
Des entrepreneurs, souvent des jeunes, s'intéressent de plus en plus à la dimension écologique et pourraient être aidés. Ils créent des entreprises qui veulent développer le respect de l'environnement. Invitons-les dans nos paroisses. Ils vont bousculer les habitudes, c'est sûr !
Une paroisse pourrait organiser une sorte de "speed dating" sur le thème écolo. Un peu comme le Hackasens du Centre du Hautmont à Mouvaux : le rendez-vous propose aux porteurs de projet d'être accompagnés pendant 48 heures pour muscler leur idée. En paroisse, on invite 10 jeunes 'start-upers' qui présentent leur idée en quelques minutes. Les paroissiens les questionnent et votent pour savoir quel projet pourrait être menés dans leur église.
Voici quelques exemples d'entreprises écolo inspirantes.
-Je me souviens d'un jeune Nordiste qui était en recherche d’un lieu pour construire une « Tiny House », une maison en bois sur roulettes. Son but : proposer des alternatives pour aller vers un mode de vie durable en créant un « éco-village ». Il aurait pu s'installer dans un parc d'une maison d'Eglise, ou dans le jardin d'une Eglise, pour développer son idée.
-Les Blobs à Lille installent des potagers dans des entreprises. Pourquoi pas dans une église ? Les enfants du caté pourraient aider à s'occuper de ces plantations ?
-Les verres jetables sont peu à peu remplacés par des éco-cup, floqués du nom du groupe, de l'association, de l'entreprise. Des paroisses et mouvements chrétiens s'en sont équipés, c'est très bien. Mais dans le Nord, une entreprise est allée plus loin, devant les risques pour la santé des ces gobelets réutilisables mais en plastique. A Dunkerque, "Mon gobelet en lin" propose des verres très écolo made in France !
Impliquer les jeunes, soutenir les établissements scolaires
Des établissements pourraient être sollicités sur des projets dans les paroisses.
-La formation en éco-construction du centre d'apprentis des Apprentis d'Auteuil à Loos-en-Gohelle a commencé en 2013.
-L'école de production de Quiévrechain, dans le Valenciennois, a développé la filière bois pour lutter contre le décrochage scolaire. Les élèves en formation créent des poulaillers, et ont même réalisé une première Tiny House en 2019.
Quelques pistes pour s'organiser
- Commencer par sensibiliser la communauté paroissiale en organisant une ou plusieurs réunions. Valoriser ceux qui sont déjà impliqués dans des actions écologiques. Il y a beaucoup de chrétiens qui, à titre individuel, sont de véritables moteurs.
-S’appuyer sur les familles « zéro déchet » à Roubaix, dont certaines sont chrétiennes : les questionner sur la manière dont elles vivent cette démarche et sur la façon de la vivre en communauté paroissiale.
-Valoriser ce qui existe déjà sur la page facebook de la paroisse, le journal paroissial... Faire des portraits. S'intéresser à ce qui se vit et s'expérimente autour de nous, dans le quartier, dans l'école, dans les entreprises du quartier par exemple. S'ouvrir à des initiatives déjà existantes, comme les repair café, les collectes publiques de compost, les donneries... soit pour s'en inspirer, soit pour les soutenir. Y aller ensemble, apprendre les uns des autres. Ne pas rester en Eglise : d'autres sont déjà des experts, chrétiens ou pas, et peuvent apporter leurs expériences. Les inviter à expliquer leur démarche et comment on pourrait la vivre ensemble. Cela créera des ponts entre les acteurs du quartier.
-Etablir un questionnaire pour collecter les idées, la parole des habitants. Le questionnaire doit être créé en équipe pour être assez précis. C'est une manière simple d'aller au devant des gens. Ne pas se contenter des paroissiens de la messe !
-Penser écolo dans toutes les démarches : dans les achats de fournitures, les petits et grands travaux, l’utilisation du jardin, la réduction des déchets…
-Nommer un délégué paroissial à l’écologie qui s’appuierait sur un réseau plus vaste, dont les deux délégués à l’écologie diocésains (les pères Simonnin et Devaux)
-Organiser un potager commun dans les jardins dont dispose la paroisse. Recenser les bouts de terrain utilisables et proposer un "plan d'occupation des sols". Repérer les talents, certains ont particulièrement la main vert, et pourrait partager leur savoir-faire. Impliquer les enfants du caté. Si une heure de caté se faisait au jardin, sur le thème du respect de la Création, de l'émerveillement devant la nature, cela prendrait une autre dimension. On écouterait et chanterait au jardin le Psaume de la Création !
- Penser à mutualiser l’espace de l’église : pourquoi pas un espace « ferme hors sol » dans le lieu de culte ? Oui à l'intérieur ! C'est possible puisque des entreprises installent des bacs à fleurs et plantes dans leurs locaux (voir les Blobs)
-Organiser un grand forum en se basant sur Laudato Si, pour réunir les paroissiens et habitants sur le thème : « Comment faire de nos églises des modèles écologiques ? ». Car cette question ne concerne pas que les spécialistes et que ceux qui viennent à la messe.
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