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Eglises : reconversion ou polyvalence, critiques et arguments

  • Anne-Sophie Hourdeaux
  • 10 mai 2020
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 mai 2020

Non, je ne suis pas maso, mais je me suis rendue compte, parfois à mes dépens, que le sujet de reconversions d'églises ou de polyvalence d'usages crispe, pour des raisons parfois étonnantes. Alors, j'ai tenté de faire une liste des critiques, pour mieux comprendre les réticences, me préparer à les contrer, ne pas m'enflammer afin d'être constructive. Tout cela est si sensible et psychologique ! Ce que je retiens le plus, ce sont les enjeux de pouvoir derrière cette question. Mais il faut dépasser tout cela.


A - Ces types de projets amènent plusieurs types de réactions : enthousiastes, interrogatifs et même dubitatifs voire hostiles. J'ai remarqué que l'hostilité est fréquente devant l'éventualité de reconversion d'églises. Ce sont souvent des personnes en responsabilité d'Eglise qui l'expriment, ouvertement ou pas. J'avoue personnellement que je ne comprends pas les raisons de cette opposition. J'ai même été très naïve au début de ma réflexion en 2016. Je pensais que tout le monde était convaincu de cette réflexion et aurait voulu avancer.


Je formule des hypothèses sur les raisons de la réticence.


-Faire l'autruche apporte un certain confort. Tout simplement.


-Il y a d'autres priorités !

baisse des vocations, gestion du quotidien, peuvent induire un repli sur soi.


-Evoquer les futures reconversions et les anticiper reviendrait à avouer un « sentiment d'échec » préjudiciable pour la réputation et le Denier de l’Église. Pour certains, il est préférable de laisser les bâtiments s'écrouler d'eux-mêmes en levant les bras au ciel : « On n'y peut rien ».


-Laisser une forme de pouvoir « aux laïcs de base », qui est une nécessité dans la cadre de projets innovants à suivre, reste difficile. « L’Église n'est pas une démocratie » ai-je déjà entendu.


-Les bâtiments ne sont pas considérés comme importants en eux-mêmes. Une fois désacralisés, ils ne sont plus sacrés donc cela ne concerne plus les diocèses.


-Le patrimoine religieux est-il vraiment considéré comme important ?

Même les défenseurs du patrimoine sont parfois ambigüs à ce sujet. Les amoureux de l'art sacré et de l'architecture sont prêts à sauver les églises sublissimes, classées Monuments historiques, avec des pépites artistiques. Mais les autres églises, sans éléments d'art particulier, sans valeur historique notoire, n'attirent pas les subventions.

D'autres opposent l'intérêt pour les pierres à l'intérêt des gens. Mettre des millions d'euros dans un bâtiment les horrifie, face à la pauvreté des habitants ?

Regarder une église dans sa valeur artistique et patrimoniale d'un côté, ou la voir comme


-Les conflits entre les personnes, paroissiens-prêtres notamment, suite à des fermetures d'églises, sont dommageables mais semblent inévitables, voire acceptables.


-On n'a pas d'idées !

Oui, ce n'est pas un aveu de manque d'audace que de se rendre compte qu'il est difficile d'avoir des idées, surtout lorsqu'on est plusieurs.

Aussi, bâtir des idées nouvelles demande une certaine rigueur. Dans une réunion à laquelle j'ai assisté récemment, le curé lance cette phrase : "Voilà, il faut un autre projet pour cette église. Inventez !". Point. Mais comment être inventifs sans méthode ? Dans les entreprises, cette démarche d'innovation prend du temps, avec des personnes formées à la conduite du changement. De plus, une personne fait remarquer qu'un an auparavant, une réunion avait déjà eu lieu sur ce thème, des affiches ont été réalisées avec des post-it portant des éléments de réflexion des participants. Mais personne ne sait où sont passées ces affiches, il n'y a pas eu de compte-rendu de cette rencontre. Comment avancer s'il faut tout recommencer à chaque fois ?


-La théorie du secret et du silence est ancrée.

Annoncer une fermeture de manière sèche, décidée parfois par une poignée de personnes, le diocèse ou même uniquement le curé, est fréquent. "On a décidé que l'église serait fermée dans 3 mois, il y aura une dernière messe et point barre". On ne donne même pas la possibilité aux paroissiens, piliers de ladite église, de formuler des idées, de préparer un projet. Imagine-t-on la violence de cette annonce ?


-Les décisions sont hiérarchiques. ça, c'est la manière polie de le dire. On peut aussi le présenter autrement (et c'est plus piquant évidemment) : le pouvoir va échapper à certains si on avance sur cette question de l'avenir des bâtiments ! La peur de perdre son "pouvoir", si petit soit-il, est énorme.

C'est le diocèse ou le curé qui décide. Cela est dû à l'organisation encore pyramidale de l'Eglise qui, si elle développe dans ses discours la place des laïcs ("tous prêtres, prophètes et roi", le peuple de Dieu dans sa version démocratique), dans les faits, le pouvoir des décisions reste concentré dans quelques mains. "Il faut bien que des décisions soient prises", me direz-vous. Evidemment, il faut trancher. Mais l'époque a changé, il faudra aussi bien un jour en prendre acte, même dans l'Eglise.

Dans une société où l'on parle de plus en plus de "co-construction", de classes inversées, de démocratie participative, peut-on en rester à des décisions unilatérales sur l'avenir de bâtiments qui, si juridiquement ils appartiennent à une institution, émotionnellement et historiquement sont propriété de tous, et pas seulement des catholiques pratiquants ?


C'est pourquoi je suis convaincue que cette réflexion sur les reconversions et polyvalence d'usages peut nous aider, si on s'y donne à fond, à nous plonger dans un chantier qui commence à peine : la gouvernance de l'Eglise. Ce thème a émergé depuis peu, avec tous les scandales de l'Eglise autour des abus sexuels, et spirituels, qui explosent depuis un an ou deux. La gouvernance de l'Eglise est un des axes majeurs qui occupera l'institution dans les années à venir pour deux raisons : la chute du nombre de prêtres qui interroge l'organisation même de l'Eglise, et l'urgence de plus de démocratie afin d'éviter la concentration des pouvoirs qui amène le contrôle par des pervers, n'ayons pas peur des mots.

En quoi l'avenir des bâtiments aidera-t-il à développer une gouvernance d'Eglise plus "démocratique" ? Car les prêtres, et les équipes d'animation paroissiale responsables des paroisses, n'auront ni les capacités, ni les talents, ni le charisme d'affronter ces chantiers seuls.


B - Que répondre aux arguments les plus couramment formulés contre ces formes d'innovation dans l’Église ? Je propose quelques idées, mais vous en aurez sans doute plein d'autres beaucoup plus pertinentes que les miennes !

Aussi, amis râleurs, amusez-vous à trouver d'autres arguments contre ces projets, je vous fais confiance ! On finira bien par avancer ensemble.


- « Cela n'attirera pas plus de monde à la messe ».

Ce n'est pas le but ! C'est la première réflexion qui me vient vu ma sensibilité d'ouverture. Et pourtant, je sens aussi que les catholiques plus "tradi", ou plus attachés aux rites, peuvent y trouver largement leur compte. Car finalement, qui sait ce que l'entrée dans une église, même désacralisée, peut provoquer ? Que produira dans les coeurs de faire revenir dans une église des populations qui n'y ont jamais mis les pieds, même si c'est pour jouer, même si c'est pour travailler, pour chanter, danser, faire du sport, de l'accrobranche ou de la lecture ? Personnellement, je n'en sais rien ! Le bâtiment rendrait-il déjà de l'espoir aux gens, cela me suffit, mais qui sait si cela n'ira pas plus loin ? Les voies du Seigneur sont impénétrables !


- « Ce ne sont que des pierres »

Les pierres contiennent les larmes, les joies, la sueur de ceux qui les ont élevées, qui les ont fait vivre et qui les ont habitées. Les faire perdurer est aussi un signe de respect pour le passé. Ces pierres sont notre héritage. De plus, les pierres peuvent être l'écrin de projets nouveaux bons pour la société. Oui, les pierres ont une âme.


- « Les désacralisations sont normales, il y a trop d'églises »

Oui, c'est vrai. Mais cette réalité n'est pas incompatible avec une réflexion sur l'avenir de ces lieux.


- « Cela ne concerne que très peu de lieux »

Cela sous entend une question : « Pourquoi dépenser tant d'énergie et d'argent puisque les églises concernées sont peu nombreuses ? » Nous ne savons pas exactement combien d'églises seront concernées par ces désacralisations. De plus, les églises concernées se situent le plus souvent dans des quartiers populaires. Pourquoi ? Car les églises de ces quartiers appartiennent souvent aux diocèses, qui les ont construites après 1905 puisque nombre de ces quartiers sont récents. Allons-nous abandonner ces quartiers en laissant les églises bâtiments disparaître ?

De plus, même s'il ne s'agissait que d'une seule église, la réflexion vaut le coup.


- « Nous ne pouvons pas brader nos églises »

Vendre une église à l'euro symbolique à une mairie pour en faire un lieu de convivialité, d'échanges, de culture… est-ce brader un lieu ? Je ne pense pas. Et si on estime que c'est le cas, pourquoi ne pas prendre le problème à bras le corps au lieu de faire l'autruche ? Car nous, chrétiens, pourrions être moteurs ou partenaires de projets innovants, au lieu de vendre à l'euro symbolique.


- « C'est impossible, nous n'avons jamais fait »

Avec cet argument, il n'y aurait jamais eu de diacres, de paroisses nouvelles, d'équipe d'animation paroissiale… Difficile oui, mais impossible n'est pas un mot compatible avec l’Église, et surtout avec la mission.


- « Dans l'éventualité de développement culturel dans les lieux de culte, nous ne pouvons pas désacraliser à moitié les édifices »

Pourquoi penser à désacraliser la moitié d'un lieu de culte ? Il y a déjà des concerts, expo, et même des animations avec danses, lectures de poèmes patoisants… organisés dans des lieux de culte de manière ponctuelle.


- « L'avenir du bâtiment église dépend du curé ou de l'évêque »

Il dépend de l'équipe d'animation paroissiale, et de son propriétaire, diocèse ou mairie. On peut aussi penser qu'une église appartient aux habitants d'un quartier, aux paroissiens, etc. La gouvernance de l'Eglise en sera bousculée. ça fait peur, hein ?


- « Avant de réfléchir à un projet, il faut trouver l'argent » ou « Avec quel argent réaliser ces projets ? »

Les bons projets et le dynamisme attireront l'argent comme un aimant. Il y a de l'argent pour les projets, nous le voyons tous les jours ! Il y aura de moins en moins d'argent pour restaurer des bâtiments avec 10 personnes à la messe une fois par semaine. C'est dur de le présenter ainsi, je sais...


-"Il y a des églises avec beaucoup de monde et une vie de foi très riche !"

C'est super, on ne peut que s'en réjouir. Beaucoup d'églises resteront telles qu'elles sont car elles attirent des pratiquants, car la communauté chrétienne est dynamique, inventive. Personne ne veut toucher à ces églises. Il y aura toujours de l'argent pour elles évidemment car elles jouent leur rôle à fond. Mais j'ai une petite cloche dans ma tête : et les autres églises, plus "pauvres" car en quartier populaire, avec moins de pratiquants, et le milieu rural où les messes ont été divisés par 10 dans l'année parfois ? Que les églises "riches" en argent, en pratiquants, en idées n'oublient pas les autres...


-"Pourquoi toujours parler de ce qui ne va pas dans l'Eglise ? Il y a de belles choses..."

C'est un peu ce qu'un prêtre pourtant très audacieux dans sa vision de l'Eglise m'a dit à peu près un jour. "Montre les belles choses d'abord". Mais c'est ce que je me tue à faire peut-être plus que n'importe qui d'autres dans mon métier de journaliste ! C'est parce que j'ai été témoin de toutes les belles choses des chrétiens que j'ai eu envie d'apporter ma pierre, d'aider sur des questions difficiles. Ce n'est pas une démarche morbide que de regarder vers l'avenir...


- « Pourquoi changer nos habitudes ? L’Église doit conserver sa raison d'être »

Changer ses habitudes au service de la mission est complètement l'esprit de l'Evangile.


- « Les chrétiens engagés sont peu nombreux, les prêtres aussi. Qui mènera ces projets ? »

Justement, ce sera l'occasion de mobiliser d'autres, notamment les esprits créatifs écartés des décisions.


- « Les hommes sont plus importants que les pierres »

Evidemment. Mais les hommes ont besoin de lieux pour rencontrer les autres, pour exister. Surtout dans un monde virtualisé et moins communautaire, où les anciens lieux de sociabilité ont disparu (cafés) mais se réinventent (notamment autour de l'écologie).


- "Il y a déjà une vie culturelle très riche dans nos églises !"

Oui, dans certaines, c'est évident. Des concerts, des expositions sont organisés, et même des spectacles (comme à Boulogne-sur-Mer tous les ans). Je ne veux pas minimiser ce qui est déjà fait, pardon si j'ai paru négliger l'existant. Mais excusez-moi, 4 concerts par an dans une belle église, avec autorisation express du curé qui peut refuser s'il estime le style musical "inappropriée", cela ne me satisfait qu'à moitié... De plus, cette vie culturelle si intense ne concerne que peu d'églises, et surtout celles des centres-villes. Et les autres ? Je rajoute qu'on peut encore inventer en matière culturelle si on ne se satisfait pas de l'existant : les musées n'ont-ils pas développer des visites guidées sous forme d'escape game depuis quelques mois ?


-"Concentrons nos forces sur la messe, les sacrements, la prière, la 'vraie' foi. Demain, les vocations reprendront, l'Eglise retrouvera son aura !".

Bon, là, je suis désolée, je ne sais plus quoi dire ! J'avoue que je n'ai pas d'arguments devant cette position. Aidez-moi...

 
 
 

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