Comment la Flandre belge repense l'avenir de ses églises : un exemple inédit et... poil à gratter ?
- Anne-Sophie Hourdeaux
- 16 avr. 2020
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 oct. 2020
En février 2019, j'ai réalisé pour la Croix du Nord et Lilleactu un dossier sur l'exemple de la Flandre belge, qui a établi une procédure tout à fait originale et inédite sur l'avenir de ses églises. L'idée de ce dossier m'est venue en assistant en janvier 2019 à une passionnante réunion organisée en Belgique wallonne par le réseau Eglises ouvertes, né en Belgique et présent en France, très actif dans le Pas-de-Calais. Le thème de ce temps fort dit "Journée d'études" avait pour thème "Nos églises... demain".
A cette réunion qui recensait plusieurs initiatives belges, autour du dynamisme des églises, avait été invité un Flamand, Jonas Dankers, qui représentait le CRKC, le Centre flamand d’art et culture religieux. Le CRKC a été fondé en 1997. Son but ? Assister les institutions religieuses dans leur sauvegarde de leur patrimoine. Il est né d’un partenariat entre les diocèses, l'Université catholique de Louvain, et les religieux (ses) de Belgique. Depuis 2009, le CRKC est reconnu par le gouvernement flamand comme centre d’expertise sur le patrimoine religieux mobilier.
Le CRKC, pilote d'une méthode qui dérange
Donc, Jonas Dankers était présent à la Journée d'études 2019 du réseau Eglises ouvertes pour présenter le « Plan de gestion des édifices religieux » en Flandre (la Belgique étant divisée en deux parties, la Wallonie n'est pas concernée par ce plan).
Une personne de l'assistance a eu cette remarque qui m'a marquée : "Au niveau du diocèse, on nous avait déconseillé d'assister à cette journée d'études à cause de la présence du CRKC".
Pourquoi ? J'ai mieux compris le problème en écoutant Jonas Dankers : l'exemple flamand pourrait influencer la partie wallonne ! Le problème ? La manière dont la Flandre belge a "incité", pour ne pas dire forcé, les responsables des églises à se pencher sur l'avenir de leurs lieux de culte, afin d'envisager éventuellement de nouveaux usages.
Décortiquons cette méthode, non pour en faire un exemple à calquer en France, mais pour comprendre comment certains Etats prennent en main ce problème pour tenter d'avancer. Voici donc ce dossier paru dans l'édition de Croix du Nord version papier le 22 février 2019, avec de nombreux exemples de reconversion d'églises.
Classement en 3 catégories
Comme la France, la Belgique est confrontée à la question de la sauvegarde de son patrimoine cultuel. La partie flamande s’est lancée dans un processus original depuis 2011 : inciter les communes et paroisses à classer leurs églises en trois catégories. Ceci pour réfléchir à de nouveaux usages ou à la polyvalence de certaines églises.
C’est le ministre flamand Geert Bourgeois, en concertation avec les évêques, qui a lancé ce vaste programme en 2011. Les communes sont alors incitées à classer leurs églises selon trois catégories : monument remarquable à conserver, lieu à désacraliser car peu fréquenté et sans valeur architecturale, église où développer la polyvalence d’usages (tout en conservant un espace culte).
Ce travail était au départ incitatif. Il devient obligatoire en 2015, les subventions pour travaux étant conditionnés à ce classement. C’est le CRKC qui a été chargé d’accompagner cette démarche.
La Flandre compte 1800 églises paroissiales pour 300 communes. Combien d’églises seront-elles désacralisées ? « Une à deux églises par commune seront concernées par la désacralisation ou la polyvalence profane/sacré, soit environ 600 églises. Ce qui fait un tiers des églises de Flandre », précise Jonas Danckers, du CRKC. Début 2019, 175 communes sur 300 ont réalisé leur plan.
Une évolution dans les décisions existe. « Au début, les décisions étaient très tranchées : on garde l’église ou on désacralise. Aujourd’hui, c’est surtout la polyvalence d’usages qui est choisie ».

Ateliers pour tous Le secret pour dépasser les peurs et les hostilités ?
« Il ne faut pas laisser la décision entre les mains de deux ou trois personnes. Créer le dialogue avec la population locale, organiser des ateliers de concertation ouverts à tous, c’est crucial. Aussi, quand le projet réussit à conserver un espace pour le culte, même petit, cela se passe de manière plus apaisée ».
La décision ne revient donc pas qu’au maire ou à l’évêque. Des ateliers citoyens (photo ©UHasselt) sont organisés pour permettre de comprendre le contexte, de partager les idées, s’approprier le futur projet et pourquoi pas s’y impliquer. « Ce processus prend environ 5 ans ».
Jonas Danckers ajoute : « Les communautés se rendent compte de plus en plus du côté positif de ces nouveaux usages sur le plan pastoral. Un nouveau public peut être rejoint ».
Nécropoles, interreligieux...
Parmi les projets les plus originaux, citons cette idée de créer des « nécropoles » avec des urnes funéraires de crématorium à l’intérieur d’une église désacralisée (trois projets pas encore aboutis). L’interreligieux est aussi une préoccupation : l’église de Mortsel abrite un lieu de silence et une salle de prière islamique.
Autres exemples : un marché dans une église (à Roulers) ; une église dédiée au street art et au skate (à Hal) ; une bibliothèque côtoyant l’espace liturgique (à Kaulille)…
Ce processus fera-t-il tache d’huile en Europe ? Jonas Danckers a été invité au Vatican à présenter le modèle flamand en novembre 2018 devant les évêques d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Océanie. A suivre...
A lire : « Leven in Kerk », 112 pages, 44,95 € (en flamand uniquement), recense 45 projets d’églises reconverties.
Exemples de reconversions
Je vous propose plusieurs exemples concrets de nouveaux usages des églises en Flandres, qui peuvent être sources d'inspiration en France. J'en ai fait un article sur le site Lilleactu en février 2019.
Holy Food Market à Gand
La chapelle de l’abbaye de Baudelo à Gand date de 1602. Elle fut école, salle de sport, garage à vélo, bibliothèque. Elle est depuis mars 2016 « halle de marché alimentaire » avec un nom poétique savoureux "Holy Food Market", le marché des produits saints ! On y trouve une quinzaine de stands proposant la cuisine du monde entier : burgers, pizza, falafel, huîtres cuisine asiatique… Holy Food Market s’inspire des marchés couverts qu’on peut trouver à Barcelone, Copenhague, Rotterdam. Le « marché des aliments saints » offre un véritable voyage à travers le monde. Le soir, place à l’espace bar et à la danse.

Des résidences pour seniors ((©Patrick Vertommen)
Le monastère de Wanze fondé en 1895 par les Franciscaines missionnaires de Marie ferme en 2010. Les soeurs laissent place à un centre de soins pour seniors. La chapelle néo-gothique a été transformée en cafétéria et espace multifonctionnel. Le passé du monastère a été gardé vivant par le nom Amandina, qui fait référence à soeur Amandina van Schakkebroek. Missionnaire belge en Chine, elle a été exécutée pendant la révolte des Boxers. Autre exemple : l’église St Vincent de Louvain abrite le restaurant du centre de soins résidentiels Sint-Vincentius. La cuisine est située dans un espace à l’arrière de l’église. En avril 2016 a eu lieu l’ouverture officielle.

Des projets solidaires L’église Notre-Dame du hameau Brelaar-Heide en Paal (Beringen) date de 1965. En 2016, elle a été retirée du culte. L’organisation à but non lucratif Open Hart Paal, créée en 1996 pour aider les personnes défavorisées, s’est intéressée au bâtiment. Elle dispose d’un bail de 34 ans. L’ancienne sacristie sert aujourd’hui de dépôt d’objets. Derrière l’église, deux conteneurs servent d’atelier et de magasin de vélos. Meubles, articles ménagers, vêtements, bicyclettes, jouets sont donnés gratuitement aux personnes défavorisées. Jusqu’en 2004, les célébrations étaient encore organisées dans l’église des franciscains de Parnassus. L’église a été transformée en restaurant. Les salariés sont en contrat d’insertion. Chacun se sert sous forme de buffet. Les légumes proviennent d’une ferme bio employant du personnel éloigné de l’emploi.
Un planétarium à Hove (©CRKC) La paroisse Saint-Joseph à Hove (diocèse d’Anvers) est étroitement liée à l’Observatoire d’Urania. Un mur sépare le planétarium de l’espace liturgique. Chaque partie a une entrée séparée. Le nouveau bâtiment a été inauguré le 4 octobre 2015. Une partie de l’église reste dédiée au culte.

Une école de cirque à Louvain (©CRKC) En 1938, les missionnaires du Sacré-Coeur ont érigé leur monastère à Louvain. En 1981, le monastère fut vendu à la ville de Louvain. La chapelle est devenue un gymnase. L’école de cirque de Louvain « Cirkus in Beweging » a été fondée en 1990 en collaboration avec Acteerstudio Juego. Puis, l’école de cirque a déménagé et a fait de l’église sa salle de répétition. En avril 2009, grâce au soutien logistique de la ville de Louvain, l’espace de cirque rénové a été inauguré. L’école propose stages, formations, spectacles.

Un marché fermier à Roulers (©FotoFever) L’église Saint-Amand date de 1871, elle fut retirée du culte en 2014. Le bâtiment appartient à la ville de Roulers (Roeselare en flamand), qui a signé un contact de trois ans avec Lokaal, un marché fermier. Celui-ci a lieu les vendredis après-midi dans l’église depuis mai 2017. Les vendeurs sont tous agriculteurs de la région et vendent leur production locale. On trouve aussi un bar et un espace enfants avec des ateliers.

Bibliothèques à Diksmuide et Kaulille Après le départ des pères dans les années 1980, l’église de Diksmuide (photo) a été achetée par la municipalité pour abriter un centre culturel. La bibliothèque y a été ouverte en 1986. Elle a fait l’objet d’une rénovation en 2012, au cours de laquelle elle a été agrandie. Des ateliers et concerts y ont désormais lieu. L’église de Kaulille date de 1931. La municipalité a décidé de déplacer sa bibliothèque dans une aile latérale de l’église, sur une surface de 250 m2. Elle a été séparée de la nef par des murs. Elle est dotée d’une entrée spécifique. Le reste de l’église est toujours dédié au culte.

Espace dédié au piano à Rekkem (©Maene) L’église fut construite vers 1707. Piano’s Maene recherchait un lieu à haute valeur ajoutée. Elle a investi plus d’un million d’euros pour créer un lieu où le piano joue un rôle prépondérant. Des instruments historiques sont exposés. Une plate-forme sert de salle de concert pour 75 à 100 personnes. La salle d’exposition est située au rez-de-chaussée (showroom).

Un gymnase (©Archipl) La chapelle des frères de la charité du collège St-Paul à Zwijnaarde, près de Gand, consacrée en 1927, est un exemple ancien de chapelle transformée en salle de sport pour une école. En 2000, le besoin d’un gymnase moderne et la faible fréquentation de la chapelle ont permis ce nouvel usage.

Street Art à Hal L’église Paterskerk de Hal est vide depuis le départ des frères Mineurs en 2013. La ville et la province du Brabant flamand ont engagé deux artistes belges de renom pour réaliser un projet de street art unique en Flandre. Les artistes Bart Smeets et Steve Locatelli ont réalisé en 2017 une oeuvre gigantesque, représentant une jungle enchantée. La ville souhaite utiliser l’église pour des projets sociaux, culturels et artistiques. Un skatepark y est ouvert depuis décembre 2018.

Salle de fitness à Ypres (©Theunynck - Knockaert et Thijs Pattyn) L’église date de 1922. Les carmes ont quitté les lieux en 2002. Le monastère a été transformé en zone résidentielle, mais il n’y avait pas de nouvelle fonction pour l’église. Après l’échec d’un premier projet, la société d’investissement anversoise Provestel achète l’immeuble lors d’une vente publique. Elle loue l’église à la chaîne de fitness Basic-Fit, qui possède une succursale dans une église de Maastricht (Pays-Bas). Les habitants du quartier ont été consultés dans le cadre d’un sondage public. L’église de fitness a ouvert ses portes le 17 avril 2015.

Pour les étudiants à Bruges (©CRKC) Depuis plusieurs années, des églises et chapelles sont ouvertes en divers endroits de Flandre pour accueillir de jeunes étudiants en quête de silence pour réviser ! La fabrique de l’église Sainte-Catherine, soutenue par l’Unité pastorale de Sainte-Trudo et l’oeuvre de jeunesse du diocèse de Bruges (IJD), ouvre l’église d’Assebroek douze heures par jour pendant un mois pour les étudiants. L’église reste dédiée au culte le dimanche. Des bénévoles, sortes de parrains et marraines, créent une atmosphère chaleureuse, fournissent des rafraîchissements. Les étudiants peuvent utiliser le réseau Wi-Fi, les installations sanitaires et se détendre dans le jardin du presbytère. L’église d’Assebroek n’est pas seule à prendre cette initiative. À Ostende, Courtrai, Poperinge, Sint-Pieters-Kapelle et Hoeselt, les étudiants peuvent également trouver dans l’église un endroit calme et inspirant pour étudier.

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